L’insuffisance rénale chronique (IRC) est un problème majeur de santé publique, prévu pour devenir la cinquième cause de décès mondiale d’ici 2040 (figure 1) [1]. 

Plusieurs études ont estimé la prévalence de cette pathologie dans la population.

En France, l’étude des 3 Cités a été menée entre 1999 et 2001 dans trois régions françaises, chez plus de 9000 patients, 13,7% des patients avaient un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73m². Cependant, cette étude a été réalisée chez des sujets âgés de 65 ans ou plus, donc la prévalence dans la population générale est probablement inférieure [2].  L’enquête prospective Mona Lisa a été menée entre 2006 et 2007 dans trois régions françaises, chez près de 5000 participants âgés de 35 à 74,9 ans tirés au sort sur la liste électorale.  La prévalence de l’IRC dans la population française, définie comme un Débit de Filtration Glomérulaire (DFG) inférieur à 60 ml/min/1,73m², a été évaluée à 8,2% (IC 95 % : 7,4–8,9 %). Cependant, la population sélectionnée étant jeune et aucun patient insuffisant rénal de stade 4/5 n’ayant participé à l’enquête, il est probable que la prévalence de l’IRC en France soit plus importante [3]. Dans une autre étude française, l’étude Esteban, réalisée chez 2422 patients, la prévalence de l’IRC de stades 3 à 5 sans thérapie de remplacement rénal se situait entre 1,5 et 2,1 % de la population adulte âgée de 18 à 74 ans [4]. 

Le nombre de patients en traitement de suppléance augmente de manière régulière en France.

Au 31 décembre 2021, on dénombre 92 535 patients en traitement de suppléance dont 51 355 (55 %) en dialyse et 41 210 (45 %) bénéficiant d’un greffon rénal fonctionnel. La dialyse avait été démarrée en urgence pour 29 % des patients. La technique de dialyse dominante restait l’hémodialyse (94 %) [5].

A plus grande échelle, aux Etats-Unis, plus d’un sur sept, soit 15% des adultes américains, sont estimés avoir une Maladie Rénale Chronique (MRC) et jusqu’à 9 sur 10 adultes présentant une MRC ignorent qu’ils en sont atteints [6].

À l’échelle mondiale, en 2017, une analyse systématique du projet GBD (Global Burden of Disease) pour tous les âges a révélé 697,5 millions (intervalle d’incertitude à 95 % [UI] 649,2–752,0) cas d’IRC à tous les stades, pour une prévalence de 9,1 % (8,5–9,8) [7]. Le nombre de décès liés à l’IRC est estimé à 1,2 million en 2017 et à 1,43 million en 2019 [8].

L’IRC est donc fréquente, cependant elle est mal diagnostiquée. Lors de leur première visite chez le néphrologue, plus de la moitié des patients présentent déjà une IRC de stade 4, ce qui entraîne une prise en charge non-optimale de la maladie. 20 à 35 % des patients admis en dialyse sont adressés aux néphrologues moins de 6 mois avant l’initiation d’une dialyse [9].

Par ailleurs, les patients insuffisants rénaux sont souvent polymédiqués en raison de leurs nombreuses comorbidités. Dans l’étude des 3 Cités, les patients prenaient en moyenne 4,4 médicaments et plus de 10% de ces patients étaient traités par au moins un médicament nécessitant une adaptation posologique à leur fonction rénale. Chez les patients IRC stade 4/5 et dialysés (DFG inférieur à 30ml/min/1,73m²), ce sont plus de 96% des patients qui prenaient au moins un médicament dont le dosage nécessitait une adaptation à leur fonction rénale [2]. Une étude néerlandaise a rapporté une prévalence de polymédication de 91% (5 médicaments) et de 43% (10 médicaments) chez les patients atteints d’IRC de stade 4/5 sans traitement de suppléance [10]. Les patients les plus polymédiqués restent les patient IRC dialysés avec en moyenne la prise de plus de 20 comprimés par jours [11].

Les patients IRC sont plus à risque de développer une néphrotoxicité médicamenteuse en raison de la modification de la pharmacocinétique des médicaments (Rappels-Généralités).  Or la néphrotoxicité médicamenteuse n’est pas un problème rare. Les personnes atteintes d’IRC courent un risque accru de prescription inappropriée (jusqu’à 37 % dans les études ambulatoires sur les patients externes, et jusqu’à 43 % dans les études sur les soins de longue durée [13,14].

Selon les résultats des études prospectives de cohortes sur l’insuffisance rénale aiguë (IRA) ont documenté que la fréquence de néphrotoxicité induite par les médicaments est d’environ 14 à 26% dans les populations d’adultes. La néphrotoxicité est également une préoccupation importante en pédiatrie, avec 16% des cas d’IRA hospitalisés étant attribuables principalement à un médicament [12].

Interactions, mauvaise adaptation posologique aux conditions physiopathologiques et à la fonction rénale peuvent entraîner un surdosage médicamenteux chez le patient IRC, avec apparition d’effets indésirables. La prévention de la néphrotoxicité médicamenteuse est essentielle, notamment en ajustant les doses de médicaments chez les patients atteints d’IRC, en évitant l’utilisation de médicaments potentiellement néphrotoxiques lorsque cela est possible ou en adoptant une surveillance des effets indésirables et signes de toxicité adaptée. Les recommandations KDIGO 2023 préconise, une collaboration pharmaciens/médecins dans l’élaboration des plans de soins et la revue des prescriptions médicamenteuses [15].

=> Une orientation précoce des patients vers un néphrologue est indiquée afin d’assurer une prise en charge optimale de l’IRC. La HAS recommande l’orientation des patients lorsque l’un des signes d’atteinte rénale persiste pendant plus de 3 mois :

  • Diminution du DFG : DFG estimé < 60 ml/min/1,73 m² ;
  • Protéinurie ou albuminurie ;
  • Hématurie : GR > 10/mm3 ou 10 000/ml (après avoir éliminé une cause urologique) ;
  • Leucocyturie : GB > 10/mm3 ou 10 000/ml (en l’absence d’infection) ;
  • Anomalie morphologique à l’échographie rénale : asymétrie de taille, contours bosselés, reins de petite taille ou gros reins polykystiques.


Figure 1 : Les 20 principales causes de niveau 3 des années de vie perdues (Years of Life Lost, YLLs) dans le monde en 2016 et 2040 par ordre d’importance

Références :

  1. Kyle J Foreman, Neal Marquez, Andrew Dolgert, Kai Fukutaki, Nancy Fullman, et al. Lancet 2018 Nov 10;392(10159):2052-2090. Forecasting life expectancy, years of life lost, and all-cause and cause-specific mortality for 250 causes of death: reference and alternative scenarios for 2016-40 for 195 countries and territories
  2. Breton G, Froissart M, Janus N, Launay-Vacher V, Berr C, Tzourio C, Helmer C, Stengel B. Inappropriate drug use and mortality in community-dwelling elderly with impaired kidney function–the Three-City population-based study. Nephrol Dial Transplant. 2011;26(9):2852-9.
  3. Bongard V, Dallongeville J, Arveiler D, Ruidavets JB, Cottel D, Wagner A, Ferrières J. [Assessment and characteristics of chronic renal insufficiency inFrance]. Ann Cardiol Angeiol (Paris). 2012; 61(4):239-44.
  4. Valérie Olié, Lynda Cheddani, Bénédicte Stengel, Amélie Gabet, Clémence Grave, Jacques Blacher, Jean-Michel Halimi Nephrol Ther. 2021 Dec;17(7):526-531.[Prevalence of chronic kidney disease in France, Esteban study 2014-2016]
  5. Rapport REIN 2021 https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/rapport_rein_2021_2023-06-26.pdf
  6. Centers for Disease Control and Prevention. Chronic Kidney Disease in the United States, 2023. 
  7. GBD Chronic Kidney Disease Collaboration. Global, regional, and national burden of chronic kidney disease, 1990-2017: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet 2020; 395: 709-733.
  8. Global Burden of Disease 2019: GBD cause and risk summaries Chronic kidney Disease. Lancet 2020; 396: S152-3.
  9. HAS, IRC chez l’adulte 2002- recommandations 
  10. Manon J M van Oosten, Susan J J Logtenberg, Marc H Hemmelder, Martijn J H Leegte, Henk J G Bilo, Kitty J Jager, Vianda S Stel Clin Kidney J. 2021 Jul 6;14(12):2497-2523. Polypharmacy and medication use in patients with chronic kidney disease with and without kidney replacement therapy compared to matched controls 
  11. Burnier M, Pruijm M, Wuerzner G, et al. Drug adherence in chronic kidney diseases and dialysis. Nephrol Dial Transplant 2015; 30: 39-44
  12. Linda Awdishu & Ravindra L. Mehta   BMC Nephrology volume 18, Article number: 124 (2017) The 6R’s of drug induced nephrotoxicity
  13. Dorks M, Allers K, Schmiemann G, et al. Inappropriate Medication in Non-Hospitalized Patients With Renal Insufficiency: A Systematic Review. J Am Geriatr Soc 2017; 65: 853-862.
  14. Long CL, Raebel MA, Price DW, et al. Compliance with dosing guidelines in patients with chronic kidney disease. Ann Pharmacother 2004; 38: 853-858.
  15. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) 2023 clinical practice guideline for the evaluation and management of chronic kidney disease, public review draft July 2023.

Mise à jour 28/07/2023

Suivez-nous sur LinkedIn