Marie Paule Dousseaux, Diététicienne Nutritionniste, Paris
Selon le rapport 2022 du Réseau Epidémiologie Information en Néphrologie (REIN), 51662 patients sont en traitement de suppléance par dialyse : 6 % sont en dialyse péritonéale et 94 % en hémodialyse. Cette dernière se pratique en centre de soins ou en unités de dialyse médicalisée (UDM) et reste la modalité de traitement la plus répandue, avec le plus souvent trois séances par semaine.
La dialyse, traitement lourd, est une condition à la survie des patients, dont la qualité de vie dépend en partie de la prise en charge. En 2017, un comité de professionnels, coanimé par la DGOS et la HAS, a défini des références professionnelles (recommandations, guide de parcours de soins, etc.) sur la qualité de la prise en charge de l’hémodialyse : dose de dialyse, suivi biologique et nutritionnel des patients, ainsi qu’une évaluation de l’accès à la transplantation pour tous les patients.
L’alimentation joue un rôle déterminant pour répondre aux nouveaux besoins nutritionnels du patient et pallier les conséquences de la dialyse.
Une prise en charge nutritionnelle doit débuter par :
- Une évaluation du statut nutritionnel comprenant au moins ces critères :
- Indice de Masse Corporelle (IMC) ;
- Dosage de l’albumine (g/l) ;
- Calcul du nPCR (Normalized Protein Catabolic Rate) qui permet de déterminer la quantité de protéines consommées par un patient entre deux séances de dialyse ;
- Pourcentage de la variation du poids sec dans les 6 derniers mois.
- Une consultation avec une diététicienne experte, incluant une étude des habitudes alimentaires, des boissons et des médicaments consommés.
Les patients débutant une dialyse ont souvent une alimentation adaptée à l’insuffisance rénale chronique (IRC). Leur nouveau statut nécessite de revoir l’ensemble de leur alimentation, d’évaluer des priorités et de négocier de nouveaux objectifs avec le patient :
Prise de poids entre les séances de dialyse
Toute prise de poids supérieure à 5 % du poids idéal ou ajusté du patient demande un travail supplémentaire pour le cœur et induit des risques d’hypotension en fin de séance de dialyse.
Elle dépend des volumes des urines émises et des liquides consommés ou administrés. Il est important que le patient connaisse le volume de ses urines et qu’il ajoute 500 ml pour déterminer le volume maximal des boissons prises ou des liquides administrés sur l’ensemble des 24 h : eau, café, thé, infusion, sodas, jus, aliments liquides (lait, potage…), etc.
Apport liquidien quotidien = volume uriné + 500 ml (comprenant : liquide ingéré + administré en perfusion) |
La mesure des urines des 24 h est à évaluer régulièrement au cours des mois pour adapter le volume des boissons.
Remarque : en cas d’administration de médicaments injectables en perfusion, le volume de boisson quotidien devra être adapté en fonction du volume injecté.
Trucs et astuces pour ajuster le volume des boissons et lutter contre la soif :
· Connaître le volume de la vaisselle utilisée et choisir des verres, bols, mugs, tasses de petit volume. · Différencier la soif ressentie dans la bouche de celle de la gorge (déshydratation plus avancée). · Savoir qu’un rinçage de la bouche avec de l’eau fraîche plus ou moins aromatisée de citron ou de menthe, un glaçon, une pulvérisation de vaporisateur d’eau maintenu au frais, permet d’étancher la soif ressentie dans la bouche. · Baisser progressivement le volume de boissons diminue la soif à long terme. |
Potassium
Le potassium est moins bien éliminé dans les urines et entre les séances d’hémodialyse. Le taux de potassium dans le sang (kaliémie) doit rester aux alentours de 5 mmol/L pour éviter des crampes musculaires.
En cas d’hyperkaliémie, il est important de chercher les causes non alimentaires : acidose métabolique, hyperglycémie, constipation, médicaments hyperkaliémiants.
Avant tout conseil alimentaire, il est nécessaire de questionner le patient et de compléter ses connaissances. Si la kaliémie est supérieure aux objectifs :
- Limiter les aliments très riches en potassium : sel de régime, cubes de bouillons de viandes et de légumes, aliments ultra transformés riches en additifs à base de potassium dont le taux d’absorption est de 90 %, fruits gras (noix, amandes, cacahuètes, avocat…).
- Adapter au besoin les apports de viande, poisson, œufs : car ces aliments acidifiants (Indice PRAL positif) ont un taux d’absorption du potassium compris entre 70 et 90 %
- Préférer les végétaux : fruits et légumes sont aussi une source de potassium, mais leur absorption varie entre 50 et 60%, en lien avec la présence de fibres et de minéraux alcalinisants (Indice PRAL négatif).
Quelques recommandations peuvent participer à normaliser la kaliémie :
=> Enlever la peau riche en potassium des fruits, légumes, pommes de terre et féculents exotiques : patate douce, igname, manioc, taro, banane plantain…
=> Le potassium est soluble dans l’eau : faire cuire les fruits, les légumes, les pommes de terre ainsi que les autres féculents exotiques, lentilles, haricots blancs, rouges ou noirs, dans un grand volume d’eau. Jeter l’eau de cuisson et continuer la préparation. Ne pas utiliser l’eau de cuisson dans la cuisine d’autres plats (purée, cuisson de riz ou de pâtes…)
=> Consommer seulement 2 petits fruits par jour.
- Un fruit très riche en potassium = 1 abricot = 1 kiwi = ½ banane = 15 cerises = 15 grains de raisin = 1 très fine tranche de melon = 3 dattes
- Attention aux compotes prises en quantité importante. 1 fruit = 100 g de compote = 1 tasse à café
=> Consommer 1 seule portion de légumes crus et 2 petites portions de légumes cuits ou pommes de terre par jour. Le potage est une portion de légumes : attention à contrôler le volume. Ces aliments apportent des fibres, indispensables pour un bon transit intestinal.
=> Contrôler la consommation du chocolat, riche en potassium car fabriqué à partir de fèves de cacao, le chocolat peut être consommé en quantité modérée (1 à 2 carrés) de façon occasionnelle.
=> En cas de consommation exceptionnelle d’aliments riches en potassium, une prise à la demande, d’un chélateur de potassium, les jours de non-dialyse peut être envisagée.
Apport en potassium : 2,5 g à 3 g par jour |
Protéines
Pendant les séances d’hémodialyse, il y a une perte de protéines. Les apports doivent donc être supérieurs aux périodes avant la dialyse. Cette période doit permettre d’améliorer et/ou de maintenir l’état nutritionnel du patient.
Les protéines doivent être apportées chaque jour, par :
- 2 portions de viande ou de poisson ou d’œufs ou d’équivalents végétaux
- 2 à 3 laitages ou fromage ;
- des féculents : céréales, racines ou légumes secs ou légumineuses.
Cet apport de protéines alimentaires permet de maintenir un bon taux d’albumine sanguine (supérieur à 35 g/L de sang) et d’éviter une dénutrition qui affaiblit l’organisme.
Apport en protéines : 1 g/kg idéal ou adapté/j, voire 1,2 g/kg/j si dénutrition |
Les protéines sont mieux métabolisées lorsque l’apport en énergie est adapté : quantité et variété adéquate d’acides gras et de sucres complexes.
Pour compenser la perte protidique au cours de la séance de dialyse (jusqu’à 13 g par séance), le complément nutritionnel Rénoral® a été développé spécifiquement pour les besoins des patients adultes hémodialysés. La canette de 150 ml avec 12,8g de protéines doit être bue dans l’heure qui précède la séance.
Si le patient n’est pas apte à couvrir son besoin en protéines et plus ou moins en énergie avec des aliments, il peut lui être ordonné des compléments hyperprotidiques, voire hyper-énergétiques, sous forme de potage, crème, boissons, biscuits, jus, avec ou sans lactose, fibres, sucres simples (Clinutren®, Délical®, Fortime®, Fresubin®). Ces produits existent concentrés en protéines et en énergie, ce qui permet de réduire le volume d’eau (450 kcal, 200 ml, 30 g de protéines). Afin de maximiser les bénéfices des apports protéiques en termes de préservation et de renforcement du capital musculaire, une activité physique régulière est souhaitable. Les interventions physiques, en particulier lorsqu’elles sont associées à un soutien nutritionnel, peuvent aider à atténuer la perte musculaire et à améliorer la fonction physique globale et la qualité de vie. De nombreuses études tentent actuellement d’en explorer les bénéfices.
Sel
La sensation de soif est directement liée à la consommation de sel. Une réduction de la consommation de liquide n’est possible et tolérée chez le patient que si l’apport en sel est contrôlé. Pour diminuer la soif et la pression artérielle, l’alimentation conseillée en hémodialyse est peu salée, < à 6 g de sel par jour.
Pour cela, il convient de :
- Ne pas ajouter de sel à table,
- Aromatiser les plats autant que possible lors de l’assaisonnement et/ou de la cuisson,
- Connaître les aliments naturellement et/ou industriellement salés, les consommer avec modération et utiliser les équivalences pratiques en sel. Les aliments concernés sont entre autres les :
– Aliments ultra-transformés riches en additifs – Plats cuisinés frais, surgelés, en conserve, restaurations collectives, restaurants… – Pain, biscottes, viennoiseries, biscuits salés, chips – Fromages – Charcuterie, jambons – Olives, moutarde, cornichons, câpres, sauces industrielles – Huitres, moules, crustacés cuits salés, saumon fumé, conserves de poissons – Eaux en bouteilles avec plus de 100 mg de sodium (Na+) = ¼ g de sel par litre |
=> Un certain nombre de médicaments contiennent du sodium. Les formes effervescentes, les formes injectables diluées dans du NaCl, les formes poudre orale, etc. Leur utilisation doit être évitée si possible, ou prise en compte dans l’apport sodique quotidien.
Conversion du sodium (Na) en sel (NaCl)
1 mmol de sodium/17 1 mEq sodium/17 1 gramme de sodium * 2,542 | = 1 gramme de sel = 1 gramme de sel = 1 gramme de sel |
Par exemple, 5 g de sel = 2000 mg de sodium = 87 mmol de sodium = 87 mEq de sodium.
Sucre
Les sucres ou glucides sont le premier apport d’énergie en quantité. Pendant la période d’hémodialyse, les apports énergétiques et protidiques permettent un bon état nutritionnel.
Les glucides complexes sont apportés par les féculents. Les glucides simples le sont par les fruits et les produits sucrés : sucre, confiture, miel, chocolat, sodas, biscuits, pâtisseries, etc. Ces derniers doivent être consommés en petite quantité et de manière adaptée au poids et à l’activité physique.
Calcium, phosphore, vitamine D
L’insuffisance rénale expose à une baisse de la vitamine D active, à une augmentation du phosphore sanguin et à une diminution du calcium. Le phosphate de calcium formé a tendance à se déposer sur les tissus lisses, tels que le cœur et les vaisseaux sanguins. Les séances d’hémodialyse permettent d’éliminer le phosphore et de recharger l’organisme en calcium.
Recommandations nutritionnelles :
Il faut maintenir un bon niveau en vitamine D (>30 ng/ml) par supplémentation et un apport en calcium (900 à 1200 mg par jour suivant l’âge et l’état des os) tout en essayant de ne pas consommer trop de phosphore (900 mg par jour). Le phosphore est essentiellement contenu dans les viandes, les poissons, les œufs et les produits laitiers. Ces aliments doivent être apportés sans excès.
Le phosphore présent dans les additifs des aliments industriels nécessite de lire les étiquettes et de réduire au maximum les sodas (colas), fromages fondus (crème de gruyère), charcuteries et plats cuisinés industriels.
En cas d’hyperphosphorémie, certains aliments riches doivent être limités et consommés de façon exceptionnelle : blanc de poulet, sardines, thon, fromage à raclette, fromages fondus, parmesan, comté, emmental, fruits oléagineux (amandes, cacahuètes, noisettes, noix, pistaches).
Médicaments et suppléments :
Il peut être nécessaire de prescrire du calcium ou un médicament qui évite l’absorption du phosphore.
Pour favoriser l’absorption du calcium, il est recommandé de le prendre en dehors des repas. Le calcium est naturellement apporté par les produits laitiers, les eaux et les végétaux.
Les chélateurs de phosphore doivent être pris pendant le repas, seulement si ce repas ou cette collation contiennent des aliments riches en phosphore, afin d’éviter les risques de troubles digestifs.
Tout au long de l’insuffisance rénale et pendant la période d’hémodialyse, il est important de s’assurer de la santé des os et de prévenir l’ostéoporose ainsi que les fractures en surveillant les apports de calcium, phosphore et vitamine D chez ces patients souvent en manque d’activité physique et de lumière.
Ressources patient :
L’alimentation du patient avec 3 séances d’hémodialyse par semaine reste variée : toutes les familles alimentaires doivent être présentes, en adaptant les apports au besoin individuel.
A chaque changement de stade d’insuffisance rénale chronique, il est nécessaire d’ajuster les apports nutritionnels et de reprendre contact avec le(la) diététicien(ne) spécialisé(e) hospitalier(ère), libéral(e), en présentiel ou en visio-consultation (ex : Plateforme Emanutrition, spécialisée dans la nutrition en néphrologie).
Des applications et des sites peuvent aider les patients à atteindre et maintenir leurs objectifs nutritionnels tout en simplifiant leur quotidien et en favorisant des repas conviviaux.

A titre d’exemple, l’application gratuite Reinbow est conçue pour aider les personnes atteintes d’insuffisance rénale, qu’elles soient dialysées ou non, en évaluant leurs apports alimentaires au quotidien et en proposant des recettes adaptées aux besoins spécifiques des patients.
Le patient peut également consulter les nombreux articles accessibles sur le site de l’Association de Diététique et Nutrition en Néphrologie (ADDN).
Annexes :


Références :
- Agence de la biomédecine : Registre français des traitements de suppléance de l’insuffisance rénale chronique _ Rapport 2022.
- KDIGO 2024 Clinical Practice Guideline for the Evaluation and Management of Chronic Kidney Disease, ISN, Avril 2024.
- HAS : Prise en charge des patients hémodialysés chroniques _ Rapport 2017.
- Battaglia Y, Baciga F, Bulighin F, et al. Physical activity and exercise in chronic kidney disease: consensus statements from the Physical Exercise Working Group of the Italian Society of Nephrology. J Nephrol. 2024 Sep;37(7):1735-1765.
- Wagner S, Merkling T, Metzger M, Bankir L, Laville M, Frimat L, Combe C, Jacquelinet C, Fouque D, Massy ZA, Stengel B; CKD-REIN study group. Water intake and progression of chronic kidney disease: the CKD-REIN cohort study. Nephrol Dial Transplant. 2022 Mar 25;37(4):730-739.
- Tomson CR. Advising dialysis patients to restrict fluid intake without restricting sodium intake is not based on evidence and is a waste of time. Nephrol Dial Transplant. 2001 Aug;16(8):1538-42.
Remerciements au Comité scientifique de GPR.