Nouvelles recommandations de l’EMA pour les études chez l’insuffisant rénal

Les nouvelles recommandations de l’EMA (European Medicines Agency) ont été récemment publiées dans leur version définitives et validées sur le site de l’agence.

 

La limite la plus importante dans la mise en application pratique, clinique, des données de la littérature ou des RCP (Résumés des caractéristiques des Produits) est la variabilité méthodologique des études disponibles. Ces guidelines développées par l’EMA vont permettre d’uniformiser la méthodologie, afin de structurer la Recherche dans ce domaine, et la stimuler ; l’utilisation des résultats de ces études désormais « bien faites » en étant facilitée.

 

Le document est disponible dans son intégralité et librement sur le site de l’EMA. Voici en résumé, les points clés qui sont abordés :

 

  • Pour quels médicaments est-il nécessaire de réaliser de telles études ?

Des études chez l’insuffisant rénal doivent être réalisées lorsque l’insuffisance rénale peut modifier l’exposition au médicament et/ou à ses métabolites actifs/toxiques. Il est précisé que cela concerne donc les médicaments excrétés par le rein, que ce soit sous forme inchangée ou de métabolites, mais également les médicaments éliminés par métabolisme hépatique, ce dernier pouvant être ralenti/limité chez l’insuffisant rénal. Au final, la quasi-totalité des médicaments chimiques est concernée à l’exception des médicaments biologiques et des médicaments non biologiques dont le mode d’élimination ne fait intervenir ni le rein, ni le foie.

 

 

  • Pour quel(s) stade(s) d’insuffisance rénale ?

Idéalement, ces études doivent être conduites chez des patients présentant tous les stades d’insuffisance rénale. Néanmoins, il est indiqué pour des raisons de simplification et d’allègement de la démarche, que si une étude réalisée chez des patients présentant une insuffisance rénale dite « sévère » montre qu’il n’y a pas de modification significative de l’exposition, il est possible d’extrapoler aux autres stades d’insuffisance rénale. Précisons que cette étude doit être réalisée chez des patients non dialysés. En effet, la dialyse épure les toxines urémiques qui sont responsables, en particulier, du ralentissement du métabolisme hépatique. Ainsi, il peut arriver que la pharmacocinétique d’un médicament ne soit pas modifiée chez un patient dialysé, alors qu’elle l’est chez un patient insuffisant rénal non dialysé chez lequel les interactions avec les toxines urémiques vont se produire.

 

 

  • Quels sont les stades d’insuffisance rénale et les valeurs cut-off ?

Ces études doivent être conduites par rapport à la valeur du Débit de Filtration Glomérulaire (DFG ou GFR, Glomerular Filtration Rate en anglais) et pas la clairance de la créatinine. Le DFG considéré pour classifier les patients dans les différents stades doit être exprimé en ml/min pour un patient donné et pas en ml/min/1,73 m2. La classification des différents stades d’insuffisance rénale à utiliser reprend les mêmes valeurs cut-off que celles de la définition internationale de la maladie rénale : 90, 60, 30 et 15 (voir tableau ci-dessous extrait des Guidelines).

 

Group Description GFR (ml/min)
1 Normal renal function ≥ 90
2 Mildly decreased renal function 60 – <90
3 Moderately decreased renal function 30 – <60
4 Severely decreased renal function <30 not requiring dialysis
5 End stage renal disease (ESRD) <15 requiring dialysis

 

 

  • Comment déterminer la fonction rénale dans ces études ?

Afin de disposer d’études qui puissent être fondées sur des valeurs de DFG les plus précises possible, il est recommandé de procéder à une mesure du DFG « vrai » du patient, à l’aide d’une méthode gold-standard utilisant un marqueur exogène. Aujourd’hui, ces méthodes incluent les mesures à l’aide du 51Cr-EDTA, ou autres radio-marqueurs. L’inuline n’est plus qu’exceptionnellement utilisée, et la mesure de la clairance de la créatinine n’est pas recommandée car elle n’estime pas le DFG.

En pratique de routine pour le maniement du médicament et l’utilisation des résultats de ces études, le clinicien peut estimer la fonction rénale (le DFG) à l’aide d’une formule mathématique. Si la formule utilisée donne un résultat en ml/min/1,73m2, il est nécessaire de le convertir en ml/min à l’aide de la surface corporelle réelle du patient concerné (règle de trois). Rappelons qu’aujourd’hui, c’est la formule CKD-EPI qui est recommandée, y compris en France, pour l’estimation du DFG.

 

6 responses to “Nouvelles recommandations de l’EMA pour les études chez l’insuffisant rénal

    1. Cher Collègue, nous y travaillons mais nous avons du faire passer d’autres activités en priorité : mises à jour médicales de GPR et derniers tests de notre nouveau module d’analyse d’interactions médicamenteuses qui va être mis en ligne très prochainement. Nous annoncerons la publication de l’étude CLEAR sur GPR avec le lien vers la revue.

  1. Bonjour,
    peut-on considérer comme plus pertinent chez les sujets de plus de 75 ans, et ceux dont l’IMC est > 30, d’évaluer le DFG par le CKD-EPI corrigé pour le diagnostic et le suivi de l’insuffisance rénale? Y-a-t-il des recommandations dans ce sens?

    1. Cher collègue,

      Pour le diagnostic de l’insuffisance rénale et son suivi, c’est la formule CKD-EPI qui est recommandée. La foule MDRD peut être utilisée dès lors que le DFG est inférieur à 60 ml/min/1,73m2. La formule de Cockcroft et Gault doit être abandonnée car 1) moins précise, et 2) non validée avec les techniques de dosage modernes de la créatininémie.

      Pour l’adaptation posologique des médicaments, la position de la HAS, précisant que c’est la formule de Cockcroft et Gault qu’il faut utiliser est irrecevable. La HAS stipule qu’il faut utiliser cette formule car, je cite, « c’est celle indiquée dans les RCP ». Le Service ICAR a mené une étude sur cette question et il s’avère que sur 2447 RCP étudiés, 438 mentionnent une adaptation posologique en cas d’insuffisance rénale et parmi ceux-ci, seuls 8,7% mentionnent la formule de Cockcroft et Gault, soit 1,6% des RCP au total. L’article est en cours de soumission pour publication.

      Par conséquent, y compris pour l’adaptation posologique des médicaments en cas d’insuffisance rénale, c’est la formule CKD-EPI (ou à défaut MDRD) qu’il faut utiliser. Le résultat de la formule, donné en ml/min.1,73m2, doit être « désindexé » pour obtenir un résultat en ml/min, pour la surface corporelle réelle du patient concerné. Le module d’estimation de la fonction rénale de GPR est conçu de telle sorte qu’en un seul clic, vous obtiendrez tous les résultats simultanément.

      Tout cela est encore plus valable chez les patients pour lesquels l’estimation par Cockcroft-Gaut est fausse : l’obèse (voire le patient en surpoids) et le sujet âgé, y compris très âgé.

  2. Bonjour,
    Dans les RCP des médicaments et sur VIDAL les adaptations de poso à la fonction rénale sont le plus souvent faites à partir d’étude qui se basent sur la formule de Cockroft et Gault (clairance de la creat). Pourtant pour l’estimation du DFG il vaut mieux utiliser CKD-EPI ou aMDRD. Ainsi je ne sais pas quelle formule choisir pour adapter les posologies : un « vrai » DFG ou un DFG « moins exact » (cockroft) mais à partir duquel les études d’adaptations posologiques on été faites ?

    1. Cher Collègue,

      La HAS a effectivement précisé qu’il fallait utiliser la formule de Cockcroft-Gault pour l’adaptation des doses de médicaments au motif que c’est cette formule qui a été utilisée pour les RCP des médicaments. Ceci est inexact. Nous (le Service ICAR et l’équipe médico-scentifique de SiteGPR avons analysé l’ensemble des RCP des médicaments disponibles en France et avons identifié, lorsque cela était possible (médicaments trop anciens) les formules ou techniques de mesure de fonction rénale réellement utilisées pour établir les recommandations dans les RCP des médicaments. Il ressort de ce travail (en cours de rédaction pour publication, étude CLEAR) que moins de 10% des médicaments présentent des informations effectivement basées sur la formule de CG. En effet, par un abus de langage, c’est souvent la terminologie « clairance de la créatinine » qui est utilisée dans les RCP mais les études ont pu être réalisées avec MDRD, une mesure du DFG isotopique ou à l’inuline, ou CKD-EPI.

      Les recommandations KDIGO de 2011 précisent qu’il faut utiliser la formule permettant l’estimation de la fonction rénale la plus fiable, pour le patient à traiter. C’est dans tous les cas la formule CKD-EPI, attention néanmoins à ne pas utiliser le résultat en ml/min/1,73m2 mais bien le résultat en ml/min, rapporté à la surface corporelle du patient. Le module d’estimation de la fonction rénale sur SiteGPR vous donne un un clic l’ensemble des résultats, en ml/min/1,73m2 et en ml/min.

      La « recommandation » de la HAS s’est fondée sur des a priori et un postulat, sans travail de fond scientifique, et est une erreur.

      Je vous invite à consulter la Lettre d’ICAR de Mars 2017 sur le thème des antibactériens et celle de Juin 2016, sur les dernières recommandations de l’Agence Européenne du Médicament pour le développement futur des médicaments (toutes deux disponibles dans votre espace personnel sur SiteGPR).

      Cordialement,

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